mardi 6 février 2018

Suite à une lettre de Xavier Coadic : une réponse

Au cours du mois de janvier, Xavier Coadic, explorateur des possibles ayant consacré son énergie dans les fablabs, les hackerspace et autre tiers lieux d'où surgiront, j'en suis sûr, nos futurs, m'a écrit une lettre ouverte, que j'ai lu avec intérêt. Je penses que nous nous interrogeons tous deux sur notre futur ; il me semble que lui est plus impliqué dans les nouvelles formes d'expressions des organisations possibles que je ne le suis, puisque je ne les aient parcourus qu'avec le temps que me laissaient mes démons ou les contraintes pour le faire, tandis que je cherche à exprimer l'essence de ce que seront nos futurs non en le faisant, mais en m'interrogeant et en cherchant à écrire un roman en rapport avec ces derniers. D'ailleurs, peut-être mon approche est-elle vouée à l'échec ; peut-être que pour changer, le monde à plus besoin de gens s'impliquant à leur niveau, au quotidien, que de personnes rêvant ce futur et n'en faisant que la description.

Les questions qu'il posait dans sa lettre étaient intéressantes, voici mes réponses :

 Société ouverte, une réponse

Bonsoir, j'ai lu avec intérêt ta lettre, ou tu fais la description de l'année 2018 telle que tu crains qu'elle pourrait se passer. Une sorte de cauchemar (ou de rêve, c'est selon) néo-libéraliste, faisant la part belle aux métiers ubérisés, où des pans entiers de l'éducation seraient confiés à des Grands Groupes tels Google ou Microsoft, où même les activités associatives s'efforçant de garder leur indépendance face à ce pouvoir sans visage ne pourraient pas faire autre chose que s'allier aux Grand Groupe en question, parce que tout compte fait, leurs outils, pour organiser leurs luttes, sont tellement plus pratiques...

Tu dresses le constat d'une société inhumaine - à nos yeux tout du moins - où chaque chose serait à sa place, et une place pour chaque chose... une pyramide où les GAFAM seraient rois, et je ne peux pas te contredire, tandis que ce valet du pouvoir en place, un président quelconque que je ne nommerais pas, comme il l'a montré encore récemment, s'en irait détruire ce qui resterait de nos institutions et de notre solidarité sociale, cet ancêtre de ce que nous appelons désormais les Communs.

Et pourtant... pourtant je ne pense pas que ce serait un dystopie. Ces corps et ces âmes d'humains livrés à un monde à un monde si terne, seraient-il malheureux ? Et bien, je ne le pense pas. Ils auront leurs places dans la Machine, n'envisageront jamais de se rebeller contre ces sociétés qu'ils connaissent depuis leurs enfances, et qui leur ont apportés tant. Avoir un compte Google, c'est tellement pratique, et tant pis s'ils lisent nos données, qui suis-je, après-tout ?

Non, je penses qu'il seront heureux dans cette société consumériste dont les paramètres auront été choisis par des algorithmes de deep learning soigneusement choisis. Ils seront heureux ; personnes à moins d'être malhonnêtes, ne pourra affirmer le contraire. Mais seront-ils encore humain ? Malheureusement je crains que cette question ne saurait être posé dans leur monde, puisqu'un algorithme quelconque pourrait la considérer comme non pertinente.

Alors, serais-ce la fin ?

J'en doute.

Parce que le Cloud, la Technostructure de la Machine, ne se nourries pas que de données. Pour chaque enregistrement inséré dans la Base de Données qui prétend contenir le Monde, il est nécessaire de dépenser de l'énergie. Pour chaque mails envoyé, pour chaque transaction, pour chaque FAV, LIKE, RT, FOLLLOW aussi.

Or, l'énergie n'est pas infinie. Le pétrole touche à sa fin, et ce ne sont pas les gaz de schistes qui viendront apporter une solution durable à ce problème que personne, dans le département Economique de la Machine, ne semble s'être posé. Certes, les panneaux solaires chinois sont de plus en plus perfomants, mais cela permettra-il d'alimenter dignement les besoins en Cloud de la Machine ?

Pour ma part, je ne le pense pas. J'envisage donc une catastrophe, à plus ou moins brève échéance.

Heureusement la Machine, cette superstructure dont j'ai entrevue déjà le nom dans un journal aujourd'hui disparu dans les années 90, comme étant GLOBAL TECH, le dernier avatar de ce qu'on appelais Capitalisme à l'époque, n'est pas infaillible.

 Des élèves qui, dans les classes, penchés sur leurs tablettes, se demandent vraiment si Google ou Microstoft est la meilleure des solutions. Qui s'interrogent ; qui se posent des questions.

Elle est là, l'humanité, et étrangement, elle le sera toujours, lorsqu'un adulte dira "connecte-toi à ton compte pour me transférer ton agenda pour que je connaisse ton emploi tu temps", et que l'enfant (ou l'adolescent) répondra, avec tout la stupidité (ou le génie effronté) de son âge : "Non".

Et j'en suis certain, avant même que le monde s'écroule faute d'énergie à dépenser, ils nous rejoindrons. Ils ne nous ressembleront pas, ils ne seront pas tels que nous les aurions imaginés, guerriers fantasmés d'une luttes dont nous ne verrions que les aurores, et non les crépuscules, parce que peut-être, nous ne pourrions pas en faire partie, mais je suis sûr d'une chose : ils nous étonnerons, et, tout bien réfléchis (à ce moment-là il ne faut pas oublier que nous serons des vieux cons), ils nous étonnerons. Et alors, peut-être avec réticence, nous leurs donneront les clés de notre savoir que nous aurons sauvegardés, en conscience, sur des Clé USB sacrée ou sur Framapad parce que c'était l'ultime survivant des idées que nous avions alors. Que feront-ils de ce savoir ? Diront-ils "Ces vieux cons n'ont rien compris, ce n'est pas assez radical, effaçons tout ça pour créer notre propre monde" ? En feront-il des sortes de textes sacrées (sort que personnellement je réprouverais : je veux que mes textes soient triturés, critiqués, mis en morceau, pour peu que la réflexion qui en soit soit issue soit féconde) ?

 L'Energie n'aura qu'un temps. Ceux qui auront vécu heureux dans la Machine, lorsque celle-ci s'arrêtera faute de pétrole ou d'énergie solaire, nous rejoindrons. Ils se lamenteront de ne plus être connecté au Réseau, d'être dans le noir, de ne plus être dans leurs univers virtuelles. Et oui, ils nous haïrons, nous qui les auront accueillis, leurs donnant des tâches simples, travailler à la Fablab, rétablir le lien laser avec la communauté qui se trouve à 3 km d'ici et qui est indispensable au Réseau Parallèle que nous avons mis en place depuis si longtemps.

 Ils nous hairont. Pendant quelques mois. Et puis, la plupart se rendront compte qu'ils peuvent encore communiquer avec leurs Vraie Amies des Réseaux Sociaux, simplement plus lentement.

Sébastien, qui s'occupe de la Forge, qui se lamentait de ne plus plus pouvoir communiquer avec ses interfaces compliquées à Jonanna, qui habite au Canada et qu'il ne verra sans doute jamais à moins que lui ou elle n'entame le voyage en dirigeable pour se rejoindre, m'a confié qu'il avait retrouvé sa trace dans les Réseaux parallèle que nous avons mis en place depuis des années, et qu'il avait entamé une correspondance épistolaire avec elle. En attendant, il a encore appris, à l'aide des anciennes archives, à fabriquer l'acier le plus pur qui soit pour les couteaux et les scies qui nous seront utiles pour couper une partie de la forêt qui nous est nécessaire pour passer l'hiver. On pourrait penser que ce n'est pas nécessaire parce que ce n'est que du temps gagné à une tâche qui devait être fait. Je m'inscrit en faux, parce que ce temps que nous avons épargnés, je l'ai utilisé à contacter d'anciens amis à travers le Réseau, si lent, désormais, pour leur faire parce que de mon expérience, et puis, il y a aussi aussi tous ces moments d'oisiveté gagnés, à écouter Mireille raconter ses rêves, et Gyslain qui se plaint tout le temps en parlant de l'ancien temps où c'était plus facile, mais en général nous finissons notre discussion par de grands éclats de rire, parce que finalement, en fait, nous savons que nous sommes vraiment heureux, en tant qu'humains, non comme ceux qui ont pu nous précéder, dans cette société étrange où même la notion de donnée avait une valeur.

Non, ils n'ont pas autant de puissance, pas autant de possibilités que dans l'ancien monde ; tous ceux que nous avons recueillis l'attestent et en témoignent souvent. Mais j'aime à me dire qu'ils ne sont pas moins heureux qu'en ces temps.

* * *

Les questions de Xavier Coadic dans sa lettre ouverte apportaient des réponses directes, et arrivé à ce point je me dois de dire que je n'y ai pas répondu. C'est que l'exercice était difficile ; je ne savais pas vers quelles directions elles allaient me mener, et après avoir tenté d'élaborer une réponse structuré et pleine de philosophie j'ai préféré suivre ce qui me tiens lieu de coeur ou d'émotion (jeter la rationalité et hop j'écris et puis on n'en a rien a foutre au moins ce sera authentique hein).

Ma réponse était spontanée, et son extrapolation va peut-être un peu loin ; je ne penses pas que l'humanité sombrera dans de tels abimes : il y aura toujours un Réseau (le truc, Internet (par truc j'entends "la structure technique et les gens qui le maintiennent" a été spécifiquement conçu pour résister à une guerre nucléaire VA survivre, même s'il ne nous permettra pas d'avoir du streaming de vidéo et que ça ressemblera peut-être plus à des forums et des blogs auto-hébérgés). Pour ce qui concerne l'énergie, nous pourrons nous en sortir, grâce au solaire, même si ce sera plutôt bizarre d'aller à la fablab du coin pour imprimer une pièce mécanique à base de plastique issue de sucre de blé cueillie dans le champ du coin.

Xavier, tu m'a demandé si une société telle que tu la craignais pouvais supporter une ouverture bases sur les principes de libertés et de codes ouvertes. Je penses que ce sera le cas. Elle en aurait même besoin : tout simplement, pour tous les enfants qui diront non à Google et à l'Enseignement Centralisé qu'on nous prépare. Les systèmes totalitaire (au sens de vouloir diriger la totalité de la vie humaine) précédent n'ont jamais compris l'erreur qu'ils faisaient : ils ne peuvent pas englober tous leurs citoyens, à moins de méthodes coercitives inhumaines. Global Tech est plus maligne : au lieu de combattre le communisme, elle est vend des tee-shirt de marque avec l'effigie de Mao parce que c'est cool, parce que c'est rebelle... Global Tech est le système totalitaire ultime parce qu'il est capable d'englober sa propre contestation. Mais elle est aussi fragile, parce qu'elle consentirait à nous vendre la corde avec laquelle nous souhaitons la pendre.

Tu m'as demandés si j'avais observés des cas concert et précis dans mon quotidien. En fait, je ne saurais le dénombrer. De ma mère qui fabrique ses pâtes elle-mêmes, à ce que j'ai pu voir en rapport avec Duniter et G1... oui, j'ai l’impression qu'il a une volonté de sortir de la Machine. Certes, je ne suis pas objectif. En 2011, j'étais décroissant, mes potes se foutaient de ma gueule lorsque je disais qu'un jour, on manquera peut-être de pétrole, et puis un jour j'ai vu sur la couverture d'un journal maintream le mot décroissance, et je me suis dis, c'est bon, mon travail sur cette terre est accomplie, je peux m'en aller, et puis j'ai participé aux Indignés de la Défense, et puis... enfin...  en fait ma réponse à ta question est oui. Par la force des choses, ou par convictions, j'ai vu des personnes se détourner de la Machine pour essayer d'inventer autre chose. Tous ces projets n'auront pas forcément pas d'avenir, mais je crois que ce qui compte, c'est justement d'interroger nos certitudes, histoires de voir s'ils n'y a pas d'autres possibilités plus loin. (à titre personnel, durant l'automne 2017, j'étais une larve, je n'étais plus rien, et je me suis retrouvé dans un festival de maker et j'ai vu le cuisinier se misérer pour trouver des volontaires donc je l'ai aidé, et c'est - pour faire un très gros résumé - ce qui m'a convaincu de ne pas me suicider tout de suite). Donc la réponse est oui - et j'ajouterais, oui malgré les luttes d'egos à la cons, parce que je sentais tous simplement que les gens voulaient... enfin, qu'il y avait une direction, quelque chose, même s'ils n'étaient pas d'accord sur la manière de le définir.

Tu m'avais posé deux autres questions, "que penser de cette société", et "où peut-être mener". Je pense y avoir répondu dans les premiers paragraphes.


Je ne me suis pas relu ; je penses que je réprouvais, ou au moins atténuerais certaines des choses que j'ai écrites.

Tu m'avais envoyé une lettre ouverte, et je m'étais engagé à y répondre. J'ai tenté de le faire (la carte heuristique l'attestant est encore disponible si tu le souhaite, mais j'ai préféré suivre mon intuition et ne pas trop réfléchir). J'espère que cette improvisation quand même pas mal alcoolisée saura t'apporter des réponses aux questions que tu te posais, ou confirmer (ou infirmer de juste manière) les réponses que tu as déjà trouvé.


En tout cas merci de m'avoir posé ces questions ; merci d'avoir été l'aiguillon qui m'a pousser à répondre à ces questions.

Au plaisir de te lire,

Alserweiss.